Cinquième épisode : Le Marahal de Saint-Petersbourg


 

Zinaïda et Vassili marchèrent pendant des heures en rasant les murs. Ils tournèrent beaucoup en rond. Non que les explications de la pauvre Rivka eussent été mauvaises, mais la princesse ne pouvait se résoudre à entrer dans les venelles populaires de la ville où se situait le ghetto. Quand enfin elle osa demander son chemin à une femme âgée qui portait du bois dans un sac plus grand qu'elle, elle fut toisée des pieds à la tête.
- Vous êtes perdue, ma petite ? Ce n'est pas votre quartier ici. Où est votre joli manteau ?
Comment avait-elle deviné la supercherie ? Zina semblait tellement ébahie que la vieille dame se mit à rire.
- Oy, oy, maïdelée, qu'est-ce que tu crois avec ton accent de princesse ? Que cherches-tu ?
- Le marahal de Saint-Pétersbourg, madame. Auriez-vous l'obligeance de me dire où il demeure ?
La femme redevint sérieuse. Elle lui montra une maison vétuste.
- Là-haut, sous les combles, le meshouga.
Et elle partit en lui tournant brusquement le dos.
Zinaïda pénétra dans l'immeuble qui sentait…le chat et le gefilte fish.
Vassili miaula avec enthousiasme, tant ces effluves lui semblaient délicieux.
Lorsqu'elle frappa à la porte du dernier étage, une voix s'enquit avec méfiance en Yiddish.
La princesse répondit sans comprendre :
- Je viens de la part de Rivka.
- Quelle Rivka ? Toutes les commères de cette rue s'appellent Rivka !
- Celle qui travaillait comme gouvernante au palais d'hiver.
La porte s'ouvrit d'un coup.
- Pourquoi ? Elle ne travaille plus ?
Zina se mit à pleurer.
- Ils… ils l'ont tuée… hoqueta-t-elle.
Devant elle se tenait rav Loeow Mordekaï, dit le marahal de Saint-Pétersbourg comme son ancêtre rav Leow, marahal de Prague au 16ème siècle. Ils avaient en commun leur pouvoir à l'évocation du nom qu'on ne prononce pas, mais de manière sensiblement différente.