Troisième épisode : Raspoutine


La princesse Zinaïda se souvenait de Raspoutine. Elle était chez sa tante Alexandra, la tsarine lorsque cette dernière lui demanda d'assister à son entretien avec le tsarets qu'elle admirait tant. Il était censé avoir sauvé son fils Alexeï, hémophile, alors que les médecins officiels l'achevaient avec de l'aspirine dont on ignorait à l'époque les propriétés anticoagulantes. Zinaïda fut frappée par la robustesse et la rusticité de l'homme mais ses coups d'œil libidineux lui déplurent souverainement. Au palais, les dames se pâmaient à son apparition et la rumeur disait qu'il plantait son bâton où il voulait. Zinaïda était trop jeune pour comprendre mais elle sentait bien, sous le regard de la bête, que personne ne la défendrait si elle ne le faisait pas toute seule. Quand elle apprit son assassinat par le prince Youssoupoff, elle en fut soulagée.

Une voyante émérite annonça que la faiblesse de la tsarine coûterait un siècle de malheur à la Russie. 
Je ne crois pas aux sibylles, mais celle-là avait du nez, si j'ose dire. Si cette pauvre Alexandra avait eu quelque chose dans la calebasse, le pays aurait peut-être glissé vers la démocratie en douceur, Vladimir Ilitch Oulianov serait resté en exil et les Romanov n'auraient pas été ignominieusement massacrés dans une cave. L'hérédité met souvent les derniers des abrutis au pouvoir. La république aussi. 


 

 

 

Pendant que Zinaïda et Vassili mangeaient du caviar comme des goinfres dans leurs appartements, les pères de famille de l'autre monde commençaient à voir la mort dans les yeux affamés de leurs enfants. 

 

Dans cet autre monde qu'elle ne soupçonnait pas, bien plus vaste et plus difficile, le peuple réalisait enfin que sa situation misérable n'était pas le fruit d'une décision divine, qu'il y avait peut-être bien des responsables. Que quelques personnes détenaient la majorité des biens de toute la Russie, ce qui est toujours valable aujourd'hui en Europe, même si la misère se remarque moins, même s'il y a l'informatique, la télé pour les gens qui ont encore une maison  et les congés payés pour ceux qui ont la chance d'avoir du travail. Les gouvernants passent leur temps à préserver le patrimoine des pauvres riches en réfléchissant aux mille manières de les exonérer d'impôts pour ne pas les vexer, car les multinationales règnent sur les gouvernants...  

 

Mais ce qu'oublient les décideurs de monde, c'est qu'ils bâtissent leur fortune sur du matériel humain et que les moujiks négligés peuvent se révolter et tuer si la vie de leurs enfants est en jeu.