Sixième épisode : le Marahal pétrit l'agile


C'était un singulier personnage. Depuis sa plus tendre enfance, il connaissait ses origines exceptionnelles, savait que son prédécesseur le rav Löwe avait été capable de créer un homme à partir de la terre, comme celui dont on ne prononçait pas le nom, et quand on le prononçait c'était à ses risques et périls : il pouvait advenir des choses imprévues ou non maîtrisables. Le rav Leow Mordechaï l'avait expérimenté maintes fois, sa magie n'était pas très au point. 
En fait, le domaine où il excellait était celui de la divination du futur mais il considérait cela comme un pouvoir très inférieur à celui de fabriquer l'être qui sauverait le monde de toutes les catastrophes à venir qu'il voyait en rêve. Alors il passait le plus clair de son temps à pétrir l'argile – et c'était aussi un sculpteur particulièrement nul – pour atteindre son but fabuleux. 

 

La visite de Zinaïda ne lui apprenait rien, il savait qu'un bain de sang se préparait et une mauvaise période pour les Juifs qui se croiraient sauvés grâce aux bolcheviks. Mais il les voyait s'exiler en Palestine dans l'avenir et en concluait que la révolution ne résoudrait rien. Sa vision lui montrait l'avènement d'un nouveau Tsar nommé Staline, aussi sanguinaire que les précédents. Il lisait en rêve un texte intitulé "Le testament d'un poète juif assassiné" et ça le confortait dans ses certitudes. "Pauvre peuple", pensait-il. Car sa mission s'adressait à tous, comme le veut l’Élection. 
Mais pour l'instant, il s'agissait d'aider la petite fille qui l'implorait.