6 / Marie Myriam


La chapelle de famille.
La chapelle de famille.

10 septembre

 

Cher journal,

 

Cette fois, j'ai décidé de poser la question à une autre mère qui n’a point connu d’homme et vécut une conception pas banale dans son mystère ineffable : la vierge Marie, que son nom soit sanctifié et tout le tralala. Peut-être dans ce cas exceptionnel daignerait-elle me répondre au lieu de garder ses paupières de stuc stupidement baissées comme d’habitude…Alors je me suis rendue à la chapelle de la famille l’Ouximer où trône sa statue peinte sur fond de tapisserie aux faux motifs baroques et j'ai marmonné pendant des heures sur un prie-Dieu en moleskine usée dont les ressorts me rentraient dans les genoux mais pas question de céder, on verrait qui serait la plus têtue. La totale, je lui ai fait : « Je vous salue Marie pleine de grâce », jusqu’à l’Acathiste, en passant par la Paraclisis, toutes confessions mêlées, pour finir par une invocation à Saint-Séraphim de Sarov qui fut visité par la Vierge, pour lui demander un coup de pouce.

Je voulais savoir sous quelle forme mon petit Adhémar se révélait à ma mère, à mon mari, aux autres humains, c’était devenu une obsession !

Elle descend...
Elle descend...

Et voilà qu’à la fin je me suis endormie avec mon poulot dans les bras, puis, j’ai entendu un léger grattement et le rabbin Leow Mordechaï m’est apparu derrière le pilier!

- Alors vous, me suis-je exclamée, quand on vous demande, rien à faire et vous surgissez dans la maison d’un dieu qui n’est pas le vôtre !

- Parce que vous avez la naïveté de croire qu’il y en a plusieurs ? m'a-t-il répondu finement.

J’en suis restée coite et c’est alors qu’une douce voix (ineffable) a murmuré dans mon dos :

- N’ennuyez pas cette jeune femme avec vos oiseuses polémiques, je vous prie, vous êtes ici chez moi.

Je me suis retournée d’un bond et j'ai aperçu notre statue de stuc métamorphosée en une vraie blonde qui entreprenait la périlleuse descente de son socle avec son bébé joufflu qui gigotait comme un beau dia… pardon.

Dieu les voit !
Dieu les voit !

- Chère Myriam, a répliqué le rabbi, je compte bien profiter de votre hospitalité malgré la fraîcheur de ce lieu. Ne me dites pas qu’une petite visite ne vous fait pas plaisir. Votre Jeoshua est joli comme un Jésus…

- Des visiteurs, Mordechaï, j’en reçois beaucoup… mais ils se plaignent tout le temps et je n’ai même pas le droit de leur répondre…

- Justement, ai-je glissé timidement en tirant sur son voile – un vulgaire bout de lin mal tissé – si je puis me permettre, j’ai une question à poser à votre Sainteté…

- Appelez-moi Marie, comme dans vos prières, ma petite, a-t-elle fait en portant la main à ses cheveux dans un geste de coquetterie, ils se le permettent tous alors ne vous gênez pas !

Puis elle s'est tournée vers le rabbi et a continué sa conversation en se désintéressant de mon sort.

- « Votre Sainteté » ! a-t-il ricané. La modestie ne vous étouffe pas, à ce que je vois. Les femmes engendrent et le fruit de leurs entrailles leur monte à la tête.

- En voilà une réflexion bien masculine ! Vous croyez que je l’ai choisi, moi, ce destin ? Pas de vrai mari et un enfant pour l’humanité ! Vous avez vu ce que ces monstres ont fait de mon petit ? Remarquez, c’était à prévoir, c’était même prévu, et les femmes n’ont une fois de plus qu’à subir leur sort et à se la boucler, que ce soit pour le mari ou pour le Saint Esprit ! Et ces millions de statues à habiter, toutes plus laides les unes que les autres, quelle plaie ! Avec des habits sans forme et un sourire niais sur le visage ! Et blonde aux yeux bleus ! Moi, une juive de Palestine ! L’imagination humaine n’a pas de limite !

Elle disait tout cela de sa voix douce dont la tonalité virait dans les aigus.

- Bon, vous avez fini de vous plaindre ? a dit le rabbi. Parce que moi aussi j’ai des doléances à faire. Vous avez vu ce que vos dissidents ont fait à notre peuple depuis bientôt deux millénaires ? Et ce n’est pas terminé. Ce siècle connaîtra la plus grande catastrophe de…

Il se tut car des larmes coulaient sur le visage de Marie.

- Aux nôtres, aux autres, aux animaux, à la Terre, je Lui avais dit que c’était une mauvaise idée… a-t-elle  murmuré.

- A qui ? a demandé le rabbi, radouci.

Elle a levé un doigt au ciel et a soupiré.

- … de mettre au monde un gamin pour la rédemption du genre humain. Quand on voit le résultat… moi j’aurais préféré que mon fils reste charpentier et fasse un beau mariage avec une kyrielle d’enfants…grand-mère heureuse, c’est mieux que mater dolorosa, vous ne trouvez pas ? Mais Il s’en mordait les doigts d’avoir fabriqué une espèce aussi imprévisible et destructrice…Il a tout essayé pour réparer et c’est nous qui avons essuyé les plâtres. Parfois je me demande s’il n’y a pas un peu de vanité chez Lui dans ce côté perfectionniste…

- Bien possible, a dit le rabbi en rentrant les épaules par peur de représailles, dès fois que le ciel lui tomberait sur la tête.

L'eau bénite.
L'eau bénite.

Là, j’ai perdu patience et j’ai parlé très vite pour ne pas être interrompue :

- Faites-excuses, mais quand vous en aurez fini avec le chœur des lamentations, j’aimerais avoir mon information : comment les humains voient-ils mon enfant, je vous prie ? Vous, le rabbi, avez-vous un tour de magie pour me le montrer ? C’est quand même le résultat de vos sortilèges, ne l’oubliez pas !

- Désolé, ça sort de ma juridiction, a répondu le Rabbi qui n’en avait visiblement aucune idée.

La Vierge a eu un petit sourire triomphant :

- Facile, plonge-lui un pied dans le bénitier s’il n’a pas été baptisé.

Adhémar, le vrai...
Adhémar, le vrai...

J’ai obtempéré aussitôt, animée par une maudite curiosité.

Si bien que j'ai vu mon Adhémar en vrai : un petit rouquin aux yeux verts avec une tête toute ronde de poupon mal équarri, moche comme un humain, j’ai aussitôt regretté mon chat préféré mais c’était trop tard…l’eau bénite, ça ne pardonne pas. Je me suis sentie mal, tout s’est mis à tourner autour de moi…

Genèse de l'Ouximer.
Genèse de l'Ouximer.

Et pouf ! Je me suis réveillée, chaque chose était à sa place et je tenais…un vrai bébé humain, à croire que j’avais rêvé, comme Alice in Wonderland, peut-être le massacre par les bolchéviks m’avait-il rendue folle, amnésique, peut-être cet Abel m’avait-il emmenée chez mes parents, peut-être Victor était-il le père d’Adhémar…le vertige me reprit, le sol se déroba…

- Vous êtes là, chère petite, dit une voix familière, je suis revenu plus tôt que prévu car vous me manquiez trop, Adhémar et vous, Mère m’a dit que je vous trouverais à la chapelle, je n’en croyais pas mes oreilles, vous qui avez si peu le goût de ces choses-là, d’habitude… mais qu’est-ce que tu as ma Zinaïda ?

Et Victor nous a rattrapé dans ses bras puissants de mâle pragmatique.

Là, j'ai compris brusquement que l’aventure était terminée.

Happy end.
Happy end.