7 - Arrivée à Nice



Lorsque le train s’arrêta au terminus, Abel bondit sur ses bagages et fila comme un dératé : il n’avait qu’une hâte, voir cette Méditerranée au bout de laquelle se trouvait la Terre Promise. Il avait l’impression qu’il allait la toucher du doigt, ce n’était plus qu’une question de bateau, une simple croisière et il embrasserait la terre de ses lointains ancêtres.

«Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se fasse inerte ! Que ma langue colle à mon palais si je ne te rappelle, si je n'élève Jérusalem au comble de ma joie.», murmura-t-il pendant qu’il arpentait les trottoirs suivi par deux chats mécontents : ils n’avaient pas eu leur bol de lait et cette lacune pesait sur leur entendement.

- Où court-il donc ainsi ? demanda Vassili.

- Au salon de thé, assura Zinaïda.

Mais lorsqu’ils atteignirent la Promenade des Anglais et qu’il vit les palmiers, Vassili se crut sur les rives de SA Baltique, il miaula de plaisir et d’effroi comme tout exilé qui aime son pays autant qu’il en craint les vicissitudes.

Abel dévala les galets de la plage et respira profondément, émerveillé par l’aube irradiant la mer de sa lumière qui ruisselait sur les vagues douces. C’était la promesse de la Promise, exaltant de son âme comme un torrent sacré, le transportant au-delà de l’eau sur les voiles mouvantes de l’espoir.

Et quand il découvrit le dôme du casino baigné d’or au bout de sa jetée, dans la brume du petit matin, il crut un instant à une apparition, à un rêve prémonitoire.

 

 

« Jérusalem !»

« Constantinople !», feula Zinaïda avec nostalgie, car elle avait souvenir de vacances enchanteresses dans cette ville mythique, avec ses chers parents.

« Mon lait ! » miaula Vassili.

Ceci n’était pas la Baltique et heureusement car sa petite enfance chez le boyard ne lui évoquait rien de bon.

Tous trois – l’espérance du futur, la nostalgie du passé et l’appétence du présent – s’assirent sur la plage pour goûter un instant de contemplation avant de poursuivre le cours de leur quête ordinaire.

 

C’est alors qu’apparut rav Loeow Mordekaï, dit le marahal de Saint-Pétersbourg, marchant sur les eaux, nimbé de lumière cotonneuse.

 

- Quoi ? s’exclama Zinaïda. Voilà qu’il se prend pour Jésus, maintenant…

Elle commençait aussi à avoir très faim et craignait un bavardage superfétatoire qui les retiendrait sur cette plage inconfortable.

- Faites-excuses, princesse, répondit le rabbi, mais il est de mon devoir de vous apporter une très bonne nouvelle. Celui dont on ne prononce pas le nom m’a dit : « Si elle veut reprendre son apparence de femme, il faut qu’un prince charmant l’embrasse ».

- En voilà une idée ! Je ne suis ni la Belle au Bois dormant, ni Peau d’Âne, ni la princesse au crapaud ! Que sont ces histoires de fifilles je vous prie ? Faut-il aussi que je me teigne en rose ? Kchchshit !

Elle cracha comme une vraie chatte de gouttière car elle s’était endurcie.

Navré, le rabbin leva les bras en signe d’impuissance, si bien qu’une nuée de mouettes s’envola, car les animaux le voyaient pour de vrai, ainsi en avait décidé Celui qu’on ne nomme pas mais qui en prend à Son aise malgré tout le pilpoul et poivre aux yeux de l’Humanité.

- Et puis d’abord je ne suis pas une femme mais une fille…

- Et moi seulement le messager, répondit le rabbi évasivement.

- Viens, dit Vassili avec angoisse car il voyait filer Abel en direction du premier café ouvert, tu vois bien qu’il ne fait qu’obéir aux ordres…

- Et le devoir de désobéissance ? hurla Zinaïda qui avait eu des préceptrices françaises.

Puis elle courut derrière les autres sans plus insister.

Ils remontèrent sur la digue et prirent ce petit déjeuner tant attendu.