La Ratamorphose


 

- Princesse Zinaïda, dit le rabbi, je vais vous rendre invisible pour une période limitée, ainsi vous pourrez fuir les Bolcheviks en toute sécurité. Ne bougez plus, je retrouve les paroles sacrées et je suis à vous. 
La princesse obéit, elle avait l'habitude des daguerréotypes, très en vogue dans la famille royale. 
Et il trouva les mots, les prononça et patatras, la bavure. 

 

Peut-être Vassili était-il trop près, ou ce n'était pas le bon texte, ou alors sa dyslexie lui avait joué un tour mais ça il ne pouvait pas le savoir parce que la psychanalyse n'avait pas atteint le shtetel. 
Le rabbin renonça à pousser plus loin l'expérience, de peur de la transformer en souris, auquel cas le chat gris ne la reconnaîtrait peut-être pas et…
Il jugea qu'ainsi, la jeune fille ne craignait plus rien. 

 

Vassili était aux anges : sa Zinaïda ressemblait enfin à quelque chose. Parce qu'il avait beau l'aimer, à l'ordinaire elle manquait un peu de pelage par endroit et en avait trop à d'autres. 
Une magnifique chatte (russe) blanche, voilà ce qu'elle était devenue !
- Je t'adore, lui dit-il.
- Je vous prie de me vouvoyer, lui répondit-elle.
Son nouveau manteau était superbe et plus chaud qu'une Zibeline. 
Et elle entreprit de se lécher des pattes aux moustaches afin de
se débarrasser de la pestilence des habits populaires. 




 

- Écoutez-moi ! intima le rabbi. Vous allez faire un très long voyage. Vous marcherez par monts et par vaux dans la direction du soleil couchant. Mais ne vous attardez pas, le sortilège prendra fin quand... enfin vous verrez. Pour me joindre en cas de grande nécessité, tournez trois fois cette Mezouza et j'apparaîtrai en rêve. 

 Il n'arrivait pas du tout à savoir ce que comprenaient ces animaux intraitables qui ne pensaient qu'à manger et jouer, ça le désespérait mais son pouvoir s'arrêtait là. 

Il les regarda partir avec anxiété par les venelles d'où l'on entendait gronder les canons. 
Puis il dit une prière pour eux et le Kaddish pour Rivka.